Actuellement à Bali, j’ai eu la chance d’assister à un retour d’expérience de Mikey Moran – l’un des co-fondateurs de GoJek, l’une des licornes d’Asie – made in Indonesia !
GoJek est l’un des leaders de la gig-economy en Asie, avec plus d’une quinzaine de services parmi lesquels on retrouve des chauffeurs VTC, moto-taxis (pratiques dans les embouteillages de Jakarta ou Bangkok), livraison de plats, coursiers à moto, masseurs à domicile … ainsi que d’autres fonctionnalités bien pratique dans cette région du monde, comme le paiement par application mobile !
Aujourd’hui, GoJek compte 2,5 millions de chauffeurs-coursiers et gère plus de 100 millions de commandes par an. Les services sont disponibles dans 200 villes et 4 pays d’Asie du Sud-Est (Indonésie, Vietnam, Thaïlande et Singapour).
C’est par le plus grand des hasards que j’ai eu echo de l’événement. Ni une, ni deux, je me suis rendue à cette conférence avec une liste de questions longue comme le bras et tout mon enthousiasme pour l’économie freelance !
D’autant plus que le lieu – un café cozy au coeur d’un village de surfeur – laissait présager une possibilité d’échanger avec un entrepreneur ayant réussit le challenge que la plupart de mes clients rèvent d’atteindre : celui de créer une plateforme ou place de marché pour freelances et devenir leader – voire licorne sur son marché.
Dans le cas de GoJek, on parle quand même d’une valorisation à USD$10 milliards ! En plus de fournir du travail à plus de 2,5 millions de travailleurs indépendants. En moins de 10 ans. On ne peut que saluer la capacité d’exécution de l’équipe 🚀
Le Lyfe Café – à Canggu (Bali) – propose chaque lundi un événement intitulé “Speak Up”. Les invités partagent leurs savoirs et leurs coeurs librement.
L’objectif ? Nous apporter une perspective fraîche autour d’un sujet, d’une expertise ou d’une expérience. Le tout sans powerpoint, dans une ambiance intime (20-30 personnes) et sur donations (suggestion : 3 à 9€). Un vrai bonheur !
Pensez à y faire un tour lors de vos séjours nomades 😎
Lors de cette soirée, Mikey a partagé son retour d’expérience sur l’entrepreneuriat en général, son parcours professionnel, ses réussites mais aussi ses échecs et le tout était très inspirant.
Il a pris plusieurs heures, à la fin, pour nous rencontrer et répondre à nos questions. Nous avions tous des étoiles dans les yeux et nous sommes tous partis avec l’énergie pour avancer sur nos projets respectifs.
Voici donc les 5 enseignements que je retiens de son expérience sur l’économie freelance et la construction d’une marketplace :
- Commencer petit, en testant son idée manuellement avant de construire son produit ;
- S’adapter au marché local pour réussir à fédérer autour de son projet ;
- Fidéliser sa communauté de freelances en ayant sa réussite à coeur ;
- Prêter attention aux chiffres et aux indicateurs de performance (Data first) ;
- Ne pas négliger l’importance du marketing dans l’adoption du produit à large échelle.
Examinons en détail chacun de ces axes :
#1 – Partez du bon pied dans la construction de votre place de marché
La génèse de GoJek est inspirante parce que ce n’est pas le récit traditionnel d’un succès du jour au lendemain. Pendant 4 ans, les équipes ont réalisé la plupart des tâches manuellement.
Commencer petit – voire adopter la méthodologie « lean start-up » – permet de recueillir les apprentissages nécessaires sur son marché plutôt que de dépenser un montant élevé pour construire un produit dont personne ne veut !
Ce n’était pas intentionnel mais – au départ – GoJek disposait d’un call center et de 200 conducteurs de moto-taxis. C’était avant leur levée de fonds, et le manque de financement rend souvent les entrepreneurs créatifs !
À l’époque, les fondateurs avaient repéré plusieurs problèmes :
- les embouteillages à Jakarta – la capitale de l’Indonésie – étaient terribles. Conduire une voiture n’était pas une option. Pour se déplacer, la plupart des locaux utilisent des scooters ou petites motos. Le plus souvent, les habitants choisissent les services des Ojeks, ces moto-taxis bien pratiques pour se rendre au travail aux heures de pointe !
- ces chauffeurs, quant-à-eux, gagnaient peu car ils devaient attendre leurs tours dans une file par ordre d’arrivée. De plus, ils n’avaient pas le droit d’optimiser leurs trajets car, une fois leurs passagers déposés, ils devaient repartir « à vide » dans la zone dans laquelle ils étaient autorisés à accueillir des clients.
Les fondateurs ont alors pensé à un service très simple pour mettre en relation clients et chauffeurs Ojeks à la demande !
👉 GoBike était né 👈
Pour construire leurs équipes de freelances, ils ont demandé à leurs amis de leur communiquer les contacts de les ojeks préférés. Ils ont ainsi eu leurs premiers 20 conducteurs.
Ce n’était pas suffisant, alors ils ont mis en place un programme de « referral » ou parainnage rémunéré entre taxis. Leur communauté est passée à 200 chauffeurs !
GoJek a ainsi existé sous la forme d’un call-center et petit réseau de moto-taxis pendant 4 ans. Les fondateurs ont presque jetté l’éponge par manque de financements. Heureusement, leur persévérance a fini par payer !
Et cette période de démarrage leur a donné de nombreux enseignements sur leur marché, le recrutement de talents et le comportement des clients.
GoJek n’avait pas tout au démarrage. Il y avait un seul service. Dans une seule ville. Sans véritable produit. Ces fondations modestes mais solides ont contribué à la réussite de l’entreprise.
#2 – Adaptez-vous au marché local pour favoriser l’adoption de votre service
Votre marché peut être une zone géographique, une cible démographique, une expertise métier ou un mélange de tout cela à la fois.
Quoi qu’il en soit, vos freelances et vos clients doivent se sentir soutenus et compris. Et cela ne va pas sans une adaptation à la culture et aux habitudes de votre cible !
Il existe de nombreuses résistances à l‘économie freelance, et l’Asie du Sud-Est n’est pas en reste. Ici aussi, les taxis se sont montrés très méfiants face à l’arrivée des plateformes telles que GoJek, Grab ou Uber.
Certains chauffeurs étaient même violents avec les clients et conducteurs des plateformes. Des panneaux « Anti-Taxis en ligne » ont fleuris partout dans les zones touristiques. Récupérer des passagers sur la route étaient interdit par les locaux (et la loi du plus fort !)
Une loi a même tenté d’interdire les taxis en ligne. Mais ce qui a sauvé GoJek, c’est son intérêt pour sa communauté à l’échelle locale et l’adoption très forte par ses utilisateurs.
Ainsi, le hashtag #SaveGoJek – partagé par les freelances et les clients sur les réseaux sociaux – est devenu viral et le projet de loi a été annulé moins de 24h après son annonce.
L’équipe a également envoyé des agents dans les zones anti-GoJek et a parlé avec les chauffeurs afin de leur expliquer la démarche, les avantages (notamment une couverture santé offerte) et le calcul de la rémunération – plus avantageuse dans cette zone du monde !
Aujourd’hui, l’application GoJek est très bien acceptée en Indonésie – mieux que ses concurrents. Le soutien est certainement lié au fait qu’il s’agisse d’une plateforme « maison » (made in Indonesia) mais aussi à leur capacité à penser local.
Ainsi, chaque nouveau pays ou service bénéficie d’une identité en lien avec la zone démarchée. Au Vietnam, par exemple, on parle de GoViet 🛵
Mais comment s’assurer de comprendre ses utilisateurs à l’échelle locale ?
En nommant un city manager ou country manager au fil de son expansion !
C’est cette personne qui sera chargée de fédérer une communauté freelance sur place. Aussi appelé « Head Of Operations« , ce partenaire stratégique doit connaître l’écosystème du marché qui lui est attribué, et construire une « flotte » de freelances en prenant en compte les lois locales (les statuts freelances, les autorisations à obtenir, etc…) et les coutumes professionnelles.
Cette pratique est d’ailleurs courante chez de nombreux acteurs de l’économie freelance, comme Deliveroo par exemple.
#3 – Fidélisez votre communauté de freelances en voulant le meilleur pour eux !
En écoutant Mikey Moran, il est clair que l’impact social était au coeur de la mission de GoJek. Leurs applications fournissent des opportunités à des personnes qui – auparavant – avaient des difficultés à trouver suffisamment de clients.
Pour garder les meilleurs talents en freelance, GoJek a mis en place des programmes de récompenses pour faire voyager les chauffeurs les plus actifs, et propose des soutiens à la communauté comme des bourses scolaires, une couverture santé ou encore des systèmes de revenus stables (malgré le statut freelance).
NB: Ici, il faut se rappeler que les lois sont différentes et que le risque de requalification en contrat de travail est beaucoup plus faible.
En France, il est possible de proposer des conditions avantageuses à ses freelances – pour les fidéliser – sans pour autant flouter la ligne délicate du travail indépendant vs. travail salarié.
👉 J’aborde plusieurs méthodes de fidélisation de sa communauté freelance dans le dernier module de ma formation datadockée : Devenir Chief Freelance Officer – disponible en ligne ou en ateliers dans vos locaux 👈
#4 – Laissez parler les chiffres pour vous développer
GoJek a grandit en mettant la data au coeur de sa stratégie.
Data > Analyze > Execute
N’oubliez donc pas de définir des indicateurs de performance pour votre plateforme et de suivre
C’est un vaste sujet, j’y consacre une partie dans mon cours, mais pour vous donner quelques pistes, vous pouvez suivre les données suivantes – côté freelances :
- les inscriptions de nouveaux freelances aux stades de contacts, de freelances validés et/ou de freelances actifs ;
- le taux de « churn » des freelances (abandons de missions, suppression de comptes, utilisateurs inactifs) ;
- le taux de satisfaction client mesuré par un nombre d’étoiles, une note, ou par un ratio d’échecs / projets totaux ;
- le volume de missions et/ou de revenus générés ou collectés par le freelance ;
- le ratio nécessaire à l’effet de réseau (network effect) sur votre plateforme. Grosso-modo, il s’agit du nombre de freelances actifs nécessaires pour pouvoir faire face à votre demande. Il s’agit aussi de la quantité de missions nécessaire pour conserver l’intérêt des travailleurs indépendants. C’est la fameuse problématique de « l’oeuf et de la poule » sur les places de marché. Trouver cet équilibre peut prendre du temps.
L’excellent Podcast « Go Figure » de Nadiem Makarim, CEO et co-fondateur de Go-Jek, reprend le thème de la data dans plusieurs épisodes. À écouter sans modération.
#5 – Ne négligez pas l’importance du marketing
Un bon produit dont personne n’entend parler n’a aucune chance sur le marché ! D’après Mikey, il faut aller à la rencontre des utilisateurs là où ils se trouvent ! Et pour lui, le marketing digital est obligatoire. Surtout sur mobile, car la plupart des adultes passent des heures chaque jour derrière l’écran de leurs smartphones.
Un bel exemple de marketing digital ?
Le poisson d’avril de GoJek, qui a prétendu avoir créé GoDate – une application de rencontre des passagers de scooters. Un concept intéressant, qui est devenu viral. De nombreux clients étaient déçu de la non-existence de ce produit.
Ci-dessous le spot publicitaire (pensez à activer les sous-titres automatiques de YouTube) 🙃
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J’ai créé un ebook de 50 pages sur différentes méthodes de sourcing pour travailleurs indépendants.
Il est inclus dans ma formation de Chief Freelance Officer !
What’s next ? La vie après la licorne …
Aujourd’hui, Mikey Moran n’a plus de rôle opérationnel dans l’entreprise. Il est retourné vers sa première profession et passion, lui qui était DJ avant l’aventure GoJek.
Il a créé Bali Praia, un lieu d’accueil pour créatifs et musiciens, comprenant des studios d’enregistrement, des formations et un café confortable. À découvrir absolument pour les digital nomads qui seraient de passage sur l’île !
Merci à lui d’avoir partagé son parcours avec humilité et transparence.
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